Nicolas Desverronnières

c h a r g e m e n t

Nicolas Desverronnières n’est pas inconnu sur ce territoire rural de Normandie. Petit rappel : l’été dernier il avait conçu une sculpture/installation (Groupelec 3000) sur le chemin de halage, dans le cadre du 4è Festival des bords de Vire. L’œuvre, pérenne, reproduit un groupe électrogène...en bois. Archaïque car peu utilisé dans l’industrie moderne, mais naturel et biodégradable, le matériau est parfaitement compatible avec l’environnement : peut-être retrouvera-t-il une place de choix dans les futures décennies ? Cette année, le jeune artiste, invité en résidence pour six semaines à l’Usine Utopik, prolonge sa quête de territoriale. Après avoir prélevé sur les bords de Vire plusieurs spécimens de ces mousses qui font le désespoir des jardiniers négligents et que les marcheurs piétinent sans vergogne, il en restitue un mètre carré « sur un plateau », échantillon magnifié et sanctuarisé par la structure sophistiquée qu’il a bâtie tout autour, sur le lieu d’exposition devenu espace muséal. Durant des semaines , il a observé cette matière encore vivante, étudié l’évolution d’un monde minuscule qui continue à se développer grâce à ses bons soins : pour nourrir et en révéler les détails au public (des reliefs à peine perceptibles notamment), il a créé une véritable chorégraphie mécanique, ingénieuse et fonctionnelle, associant de façon plus ou moins visible ventilateurs, lampes, brumisateurs, pompes à eau, destinés à reproduire le climat normand. Une mise en scène qui fait de cet humble produit de la nature une référence au grand Tout.

La curiosité, l’esprit d’observation et le goût de l’analyse, puis l’imagination et le besoin de réalisation s’exercent tout à tour, comme programmés, dans la démarche créatrice de l’artiste, et dans les domaines les plus variés. C’est ici une « carlingue » dont il donne la réplique à son modèle spatial en assemblant patiemment les lattes d’une clayette de bois : sur les traces de ceux qui l’avaient conceptualisé pour la conquête de l’espace, l’artiste tel un passeur, en fait pour ses visiteurs le transporteur de leur imaginaire. Là, à fleur de sol, c’est une « volière » monumentale érigée en plein champ (Tour de Ronde) pour « signaler » la présence d’une source ou, accessoirement en bloquer le flux, dénonçant par cette absurdité certaines pratiques du contrôle ou de l’enfermement. Ailleurs, étudiant le programme de reconstruction rapide d’un quartier de la Nouvelle-Orléans, il interprète et remodèle, à partir d’un protocole ludique, un ensemble de maisons   en s’appuyant sure deux traditions de la capitale de la Louisiane, l’architecture originale et si particulière des « shotgun houses » et celle du… pain d’épices de Noël. Ses Gingerbread Shotgun Houses, qui se différencient par les aléas de la cuisson, jouent sur l’appropriation de l’art pour et par un public populaire et … consommateur.

A l’Usine Utopik, l’artiste présente une deuxième œuvre qui n’est pas sans rappeler une sculpture antérieure (Stratigraphie). Il s’agissait alors d’une table dont le plateau en aggloméré (un tassement de matières naturelles agrégées, « opprimées » pourrait-on dire) avait fait exploser la plaque lisse du formica qui le recouvrait. La nature s’est rebellée ! Ici, l’artiste a empilé des planches de ce même matériau qui constituent les strates d’un ensemble végétal, (voir d’un pan d’antique muraille) qu’il reconstitue et entaille pour en souligner la rugosité : à défaut de rendre à la nature ce qui lui a été dérobé, il lui rend un vibrant hommage.

Après six années d’études aux Beaux-Arts et quelques travaux réalisés en collectif, Nicolas Desverronnières a conquis une autonomie nouvelle et libératoire. A la fois humble devant l’univers des possibles et conquérant dans son désir de l’appréhender, il professe que l’observer c’est le comprendre et souligne avec jubilation la richesse des échanges et des interactions. Il met son ingéniosité au service de son imaginaire avec une rigueur teintée d’ironie pour explorer le réel, le transcender, voire le surpasser, rejoignant là une des missions fondamentales de l’art.